En France en ce moment, il y a un engouement pour le tarot. Sans doute que toutes nos inquiétudes liées au futur n’y sont pas étrangères. Le confinement moment d’anxiété et d’isolement a sans doute encore renforcé cette situation. En réaction à cela des maisons d’éditions diffusent largement de très nombreux tarots et oracles. A un niveau plus politique, le tarot est lié au féminisme et aux mouvements lgbtqi+ (« a Feminist tarot » par Sally Miller Gearhart et Susan Rennie ou « Thea’s tarot » de Ruth West pour prendre deux exemples historiques). Témoin de cet intérêt, la bibliothèque du MIT aux Etats-Unis consacre une collection aux tarots indépendants, tournée vers le féminisme radical et le queer. Alors même qu’un certain nombre de ces tarots sont en français, il semble manquer en France d’une reconnaissance du tarot comme une forme d’expression artistique et intellectuelle.

Cela fait un peu plus de cinq ans que je tire les cartes et m’intéresse au tarot. N’étant pas familier de cet univers, j’ai trouvé d’abord dans cette pratique une posture qui m’intéressait : contrairement à l’œuvre d’art qui se présente d’abord au spectateur, avec le tarot c’est la personne qui souhaite interroger les cartes qui vient à elles. J’apprécie cette position d’écoute précédant la parole. J’aime aussi avec le tirage de carte ce dialogue qui se noue autour d’images. Il constitue pour moi une sorte d’alternative au jeu de langage de l’exposition, souvent trop frontal et éprouvant, en ce sens qu’il permet tout à la fois de regarder des images, d’en parler et de mettre en jeu sa vie, ses sentiments, ses convictions.

J’ai aussi pu observer aussi que le tarot est trans-classes. J’ai rencontré des tireur.euses de cartes de milieux très différents, populaires ou bourgeois. De ce fait, on peut peut-être considérer le tarot comme une bulle esthétique, relativement protégée des spéculations du monde de l’art et du pouvoir social qui y est inscrit. J’en ai eu la confirmation récemment lors d’un tirage de cartes où nous avons pu avoir des échanges passionnants et savants autour des cartes du tarot, des échanges où les personnes se sentaient qualifiées pour apprécier et juger les images du tarot que j’avais réalisées. Je me suis senti parfaitement à l’aise lors de ces échanges, alors qu’avec des œuvres d’art, les codes du milieu auraient sans doute constitués des entraves à la discussion. Ces personnes m’ont aussi fait part de leur savoirs et pratiques respectives. Tout cela peut nous faire sentir combien ces activités divinatoires, marc de café ou cartes, sont un espace d’autonomie pour parler de sa vie, tenter de mieux la comprendre, reprendre la main sur ses peurs et ses attentes et qu’il serait sans doute utile de leur redonner une valeur.

Quant on est sceptique vis-à-vis de la divination ou critique de l’occultisme, on peut il me semble, adopter une attitude différente pour comprendre le tarot. La lecture de carte comme d’ailleurs le jeu de tarot sont des systèmes basés sur la chance. Ils permettent de réintroduire cet élément tout à fait central dans notre réflexion : qui n’a pas éprouvé dans sa vie l’importance de l’inattendu. Or les discours rationnels, par principe, écartent cet élément de chance. On ne tire pas au hasard la page qu’on va lire dans un livre de philosophie, pas plus que le philosophe ne joue à pile ou face. Il en résulte une limitation de ces discours et de leurs effets sur nos vies. Comme pour d’autres énoncés, scientifiques par exemple – pensons aux fameux rapport du GIEC – que nous avons tellement de mal à mettre en rapport avec nos vies. Si on accepte de ne pas opposer ces deux systèmes, ceux basés sur la chance et ceux qui ne le sont pas, on aurait alors une complémentarité fort opérante entre deux discours, deux jeux de langage, deux relations au monde.
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