ETAPE DE REFLEXION – travail de recherche en cours sur les Jardins des Vertus à Aubervilliers

Ce que j’ai appris en venant aux Jardins d’Aubervilliers

Je suis venu aux Jardins des Vertus d’Aubervilliers un peu par hasard. Parce qu’un couple d’amis, avait récemment commencé à cultiver une parcelle.

Avec Agnès Prévost, nous avons pensé ensuite que cela pourrait faire un bon terrain de recherche pour les relations plantes-humains dans la ville.

Je suis venu et revenu plusieurs fois aux Jardins des Vertus et tandis que je me promenais pour photographier les lieux, et que peu à peu j’en venais à mieux apprécier leur beauté et leur importance, j’ai pris conscience de la menace qui planait sur cet endroit.

Et puis cette menace n’en était plus une et aujourd’hui une partie des Jardins est détruite. Mais il y a toute cette mobilisation qui fait que même abattus et rasés pour partie, les Jardins vivent.

Ce chemin parcouru m’a appris deux choses. Je crois que j’ai appris à aimer de nouveau la ville. Les jardins aussi petits soient-ils m’ont, à travers leur importance et leurs usages m’ont fait voir la ville depuis ce monde végétal. J’aime ces jardins et j’aime ces lieux comme je ne m’étais pas attaché à un nouvel endroit depuis longtemps. C’est un lieu important parce qu’il n’est pas spectaculaire, qu’il est utile et qu’il a été fabriqué par les plantes et les gens.

L’autre enseignement de cette fréquentation est plus abstrait, plus difficile peut-être à expliquer, bien qu’il découle en partie du précédent. J’ai compris en observant la vie du jardin, celle des plantes en premier lieu, qu’un jardin a sa propre réalité. Je veux dire qu’un jardin n’est pas qu’un lieu fait par les humains ou pour les humains, c’est un lieu à l’égal d’une forêt, une entité pourrait-on dire qui a sa propre existence, plus grande et belle que grâce à la seule action humaine. Cette conviction, je l’exprime en disant qu’un jardin est à la fois une relation entre plantes et humains et à la fois une entité, avec sa vie propre pourrait-on dire.

Ce que je cherche

J’ai le sentiment que nous sommes à un point de bifurcation. Alors même que les tenants de la mondialisation et du progrès se sont radicalisés proposant des rêves technophiles de plus en plus absurdes (voyages touristiques dans l’espace et autres transhumanisation) et qu’une sorte d’hypermatérialisme se dessine (effacement de l’intériorité humaine et applatissement algorithmique), des personnes de plus en plus nombreuses se trouvent face à des effondrements écologiques et sociaux. Je crois que ce qui se passe alors relève d’une sorte de rencontre entre des conceptions du monde : la conception moderne ne s’efface pas, mais elle se disloque partiellement et remet au jour des modes plus anciens de voir le monde. A côté de cette ontologie hyper-matérialiste s’ouvre donc des possibilités pour d’autres visions du monde de se constituer.

Je pense que les images, images-formes et images-forces tout à la fois, sont un très bon terrain pour participer de cette reconstitution ontologique. C’est à l’intérieur de l’art et l’art visuel notamment, que dans les années 1970 s’est formé la sous-ontologie post-moderne. Il est évident à chacun que nous sommes dans une phase de transition, dans lequel la mondialisation occidentale perd du terrain et va peut-être se transformer radicalement. C’est le moment pour penser d’autres constitutions pour les images.

Selon cette autre conception, l’image est appréhendée comme un tout mais également comme un tissu de relations. Elle peut être à la fois une photographie (dans mon cas), une empreinte du réel (son caractère d’empreinte, nous la fait saisir de cette manière comme un tout, une seule entité visuelle) et à la fois un dessin, un lacis organique de gestes qui trame l’ensemble des relations.
Cette union offre aussi la possibilité pour l’image d’être autant réaliste, via l’autorité photographique, trace du réel, qu’une figure de pensée, à travers les motifs graphiques, abstraits ou infra-figuraux, issus du tracé. Cette conjugaison d’abstraction et de figuration entend rendre l’expérience de l’intensité commune du sensuel et de l’intellectuel, la conjonction de ces deux espaces traditionnellement séparés : la vibration du trait, la dissolution des figures, leur résurgence, induit une appréhension sensuelle de l’image, tandis que leur étrangeté, la persistance de formes non-figurales (entrelacs, rêts, ramifications) pose une relation plus mentale à l’image.

Ce modèle visuel n’est pas séparé de la vie des plantes. Il s’en imprègne doucement, jusqu’à ce que peut-être images et plantes soient sous un certain point de vue, presque une seule chose. La vision du jardin comme relation et entité est le premier pas de cette proxilogie. On pourrait penser également que la fréquentation des plantes, leur manière si particulière d’exister induirait d’autres changements et une imprégnation encore plus forte : je pense par exemple à la relation si différente qu’on les plantes avec l’individualité et la collectivité, ce qu’on considère comme individu, un arbre, est en fait presque plus une collectivité. C’est ainsi que l’image qu’on considère plutôt comme unité (une fenêtre sur le monde) pourrait être défaite et être perçue plutôt comme un rassemblement de circonstance.