ART ET EMANCIPATION

Cabaret Courant Faible, 2017

L’art dit contemporain se veut comme une suspension de l’histoire : les néons des galeries éclairent des lieux sans usage imposé, des lieux flottants où tout serait possible. Cet art qui se veut ouvert et non-autoritaire a une conception idéologique bien définie et ses oeuvres ont leur propre logique. 

En France, l’art contemporain est lié à une minorité puissante, un pouvoir de quelques uns qui peut être qualifié d’oligarchique. Dominance de certains collectionneurs, collusion de l’état et des institutions privées, opacité des décisions. Quelle légitimité accorder à ce pouvoir qui ne s’embarrasse pas de questions démocratiques ?

Cette oppression est ressentie profondément par les personnes qui fréquentent et animent ce milieu. L’inégalité n’est pas qu’une idée ou un mode de gouvernance, c’est aussi une condition vécue. Au revers du « CV » des artistes contemporains on peut lire l’inadéquation entre les idéaux affichés et la trop souvent triste réalité sociale et économique.

Cette situation difficile est en train de fissurer le milieu de l’art. Des personnes qui se reconnaissent de moins en moins dans le rêve lisse des instituts d’art contemporain, dont le chemin croisent des dynamiques politiques d’émancipation s’affirment en divergence et s’organisent. Le monde de l’art en apparence mainstream est sillonné de courants faibles.

Radio Debout, Arts Visuels Debout, Paris, 2016

Quand les alternatives joyeuses mises en place ici ou là se pérennisent, la question de la sécession se fait jour. Ces initiatives heureuses ne commencent-elles pas à acquérir une certaine autonomie ? N’y a-t-il pas dans ces marges cachées les prémisses d’une bifurcation qui induirait un autre jeu de langage ?

Le mythe du génie, l’individu-créateur, a encore bien souvent cours. L’isolement et la singularisation des artistes renforce encore ce trait. A contrario, le sentiment du collectif demeure présent, bien qu’à bas bruit. Ecrire des oeuvres à plusieurs voix est une direction possible pour amplifier et soutenir cette implication.

Cet entêtement dans la singularité enferme les artistes et réduit leurs oeuvres à une sorte d’expression identitaire. Si l’aspiration à la généralité du concept n’est pas de mise aujourd’hui, on doit pouvoir essayer de trouver une voie médiane, un moyen d’unir l’individu et le groupe, l’existence et l’idée.

Cette très haute aspiration est aussi en lien avec des problématiques concrètes : les oeuvres d’art font encore l’objet d’un fantasme lié à leur caractère unique. Cette catégorisation participe d’ailleurs à organiser une économie de la rareté si dommageable aux artistes. Or, c’est aussi une question technique que d’imaginer des oeuvres qui seraient à la fois unique et multiple. 

L’omniprésence des réseaux sociaux et leur acceptation renforce encore l’individualisme actuel. L’égo devient une bulle, un isolat. A la différence de cette psyché artificielle et morbide promue, il existe d’autres modes d’être du soi, plus ouverts, incomplets aussi

Cabaret Courant Faible, Paris, 2018

Cette conception implique la rencontre et le partage des territoires artistiques et nécessite de créer d’autres relations sur internet que celles des grandes plateformes.

L’art porte un rêve d’immortalité, la postérité de l’artiste et de son oeuvre dans le monde hors du monde du musée, un rêve qui est en train de percuter la réalité de la finitude de la terre. Cette limite atteint la définition et d’une certaine manière l’existence de ce qu’on appelle « art ». Cette conscience nouvelle appelle en tous cas un autre statut d’oeuvre. Des objets intermittents, non réifiés, à appréhender avec respect.

Nommer ce qui est en train d’apparaître est important, c’est un acte politique pour s’affirmer, affirmer les résultats de ces expériences de césure et de constitution. Collectage, homéobjet, syingramme, plurivoque, nexus sont quelques uns des termes employés pour qualifier ce terrain réclamé.